R418 – Nature morte au compotier, 1879-1880 (FWN780)
Pavel Machotka
(Cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Nature morte au compotier est justement célèbre et sa structure est à la fois ambitieuse, complexe et parfaitement réussie. Par exemple, il est composé en effet de trois plans – le devant de la commode, fermement situé grâce au moraillon que Cézanne place si nettement devant nos yeux est le premier – et présente une subtile transition vers le fond avec le verre transparent. Une diagonale prononcée va du haut à gauche vers le bas à droite, équilibrée, comme on l’aurait prévu, par le motif à feuilles en haut à droite et par tous les mouvements de la touche parallèle. Dans l’ensemble, quand les choses pourraient si aisément être juste un peu dérangées, tout semble magnifiquement en place : le couteau nous menant vers le fond, de la même façon que la nappe, par exemple ; le motif à feuilles se rapprochant des objets solides (ils se touchent sans se chevaucher) ; un équilibre d’ensemble de la toile, d’une simplicité trompeuse. Cette nature morte, encore plus que les autres, est un univers parfaitement autonome, c’est un tableau où les tensions sont résolues sitôt crées, où la peinture joue serré avec l’illusion et la conviction de la permanence défie l’usure du temps.
On pourrait être tenté de voir le tableau comme une sorte de quintessence de ce qu’avait découvert Cézanne sur la peinture jusque-là, comme le pensait Fry[1], et c’est difficile de résister à la tentation. Quant à moi, je préfère ne voir dans ce tableau qu’un jalon de son œuvre, une position splendide et difficilement gagnée. Une telle fermeté dans la touche n’a été réservée qu’à certaines natures mortes ; plusieurs autres sont faites avec une touche moins prononcée, et d’autres, peut-être la moitié de celles de cette période, ne sont pas du tout réalisées avec une touche parallèle distincte. Je me rends compte, à partir de mon propre labeur à étudier cette nature morte, que ce genre de synthèse requiert beaucoup de peine et d’oubli de soi de la part du peintre ; elle nécessita une sélection d’objets les plus simples, un refoulement du plaisir du trait, un spéculation intense. Quelque quinze ans plus tard, il réussirait des œuvres – comme les natures mortes dont on a parlé dans l’introduction – d’une encore plus grande complexité avec des moyens plus simples et plus efficaces. Pour l’heure, à ce niveau de son évolution, après un tel refoulement et ce dur labeur, il lui fallait quelque répit. Que lui procurèrent des tableaux d’arrangements floraux, à savoir un retour au confort d’une peinture d’objets dont l’aspect, sensuel ou complexe, était une motivation suffisante pour vouloir les représenter.
Source: Machotka, Cézanne: La Sensation à l’oeuvre.
[1] Roger Fry, qui a réservé quelques-unes de ses pages les plus poétiques à ce tableau. Voir son Cézanne : A Study of his develpment, Chicago : University of Chicago Press , 1989.
Ce tableau a inspiré de nombreux peintres, parmi lesquels :