20 janvier
Une lettre de Tanguy à Cezanne semble impliquer que Cezanne ne se trouve pas à Paris.
Lettre de Tanguy, Paris, à Cezanne, 20 janvier 1887, ancienne collection Jean-Pierre Cezanne.
Ratcliffe Robert William, « Cézannes Working Methods and their Theoretical Background », thèse de doctorat, Londres, University of London, The Courtauld Institute of Art, 1960, 448 pages, p. 17 et note 47a p. 386.
Mars, après le 23
Hortense Cezanne, qui habite sur le cours Sextius, à Aix, reçoit une lettre de son amie Thérèse Guillaume, lui demandant quand son mari et elle reviendront à Paris.
« Paris ce 26 mars 1887
Ma chère Hortense
J’ai été au Bon Marché hier et j’ai trouvé tout ce que tu demandais, j’ai bien fait de me dépêcher à y aller, car il y avait beaucoup de choses que si j’avais retardé il n’y en aurait plus eu, car j’ai pris les dernières. Je pense que les cravates de Paul [probablement le fils] te plairont, car j’ai pris ce que j’ai trouvé de mieux.
Ma chère Hortense, je pense que tu seras satisfaite, du reste tu me le diras dans ta prochaine lettre.
Je n’ai pas dépensé plus que tu m’avais envoyé. Nous nous portons tous bien et j’espère que vous en êtes de même. Moi et Henri nous avons attrapé un rhume de cerveau qui se porte bien, il n’était pas difficile d’en attraper avec un temps comme nous avons eu cette semaine, un jour il neigeait, un autre il faisait froid, après il a plu, puis il a fait un beau soleil.
Le petit henri a eu 3 ans hier à 10 h 1/2. Comme le temps passe tout de même.
Je voudrais que tu nous annonce le plus tôt possible ton retour à Paris car l’on pourrait mieux se parler que par lettre.
Si au moins le tremblement de terre avait été plus fort et qu’il ai décidé le père Paul à quitter le midi. Mais espérons qu’il n’y aura pas besoin de tremblement de terre pour vous décider et que vous viendriez plus tôt que l’on ne croit. Ayons bon espoir et surtout ennuie toi moins.
Ma chère Hortense, je finis ma lettre en t’embrassant de tout cœur
Ta vieille Thérèse
Embrasse bien Paul de notre part et surtout de celle de Louis. Une bonne poignée de main au père Paul de notre part et bien des choses à sa mère
Tout le monde t’embrasse aussi de tout cœur »
Le 23 février, un tremblement de terre a secoué la Ligurie et le Piémont en Italie, faisant au moins 630 morts. Il a été ressenti sur la Côte d’Azur et aussi loin que Marseille, Aix, et les environs. »Lettre de Thérèse Guillaume à Hortense Cezanne, datée « Paris ce 26 mars 1887 », communiquée par Philippe Cezanne.
19 mars
Rose Conil achète « une propriété rurale dite Le Pavillon ou Montbrian située quartier du Pas de Goules, du Défens ou de Valcros ».
Archives départementales des Bouches-du-Rhône, registre 202 e 370 ; Lioult Jean-Luc, Monsieur Paul Cezanne, rentier, artiste peintre. Un créateur au prisme des archives, Marseille, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, Images en Manœuvres Éditions, 2006, 299 pages, p. 295.
8 mai
Une lettre de Tanguy à Cezanne implique que Cezanne ne se trouve pas à Paris.
« Paris le 8 Mai 1887
Mon cher Mr Cezanne […]. Veuillez présenter tous nos respect à Madame Cezanne ainsi qu’à Mr Paul et à toute votre famille je vous dirai que les affaire sont si mauvaise à Paris ».Lettre de Tanguy, Paris, à Cezanne, 8 mai 1887, ancienne collection Jean-Pierre Cezanne ; Ratcliffe Robert William, « Cézannes Working Methods and their Theoretical Background », thèse de doctorat, Londres, University of London, The Courtauld Institute of Art, 1960, 448 pages, p. 17 et lettre citée en français à la note 47a p. 386.
15 août
Un article de Paul Alexis, « Trubl’― Auvers-sur-Oise », paru dans Le Cri du peuple, mentionne La Maison du pendu (FWN81-R202).
« Sans compter la rude population des carriers à étudier, et d’les ceusses qui font des « carrières d’champignons, » qu’d’choses intéressantes ! Vous irez voir « la maison du pendu, » où l’on trouva un matin un paysan qui s’était fait périr, et dont l’peintre Paul Cezanne, qui habita longtemps Auvers, a fait une saisissante étude [FWN81-R202]. »
Trublot [Paul Alexis], « Trubl’ ― Auvers-sur-Oise », Le Cri du peuple, 15 août 1887.
Octobre
Van Gogh fréquente la boutique du père Tanguy, où se trouvent des tableaux de Cezanne.
Lettre de van Gogh à Angrand, octobre 1887 ; Van Gogh à Paris, catalogue d’exposition, Paris, musée d’Orsay, 2 février – 15 mai 1988, 403 pages, p. 378.
15 octobre
Paul Alexis publie dans Le Cri du peuple un article sur la collection d’Eugène Murer. Il possède sept tableaux et une aquarelle de Cezanne. Toutes ces œuvres sont signées sauf le n° 8 (FWN738-R326) :
« La collection Murer
Y a beau temps qu’Trutru vous a promis d’vous faire passer un quart d’heure agréable, au milieu des raretés et des richesses impressionnistes d’la collection au copain Murer, un des amateurs d’impressionnisme qu’en possède le plus. C’te collection peut faire la pige avec celles d’l’historien et critique d’art, Théodore Duret, du père Choquet, d’M. Doria, un descendant des doges d’Gênes — rien qu’ça ! — et du comte d’Bellio, gentilhomme bulgare. Vous voyez qu’a va loin, la peinture impressionnisse !
Eh bien, aujourd’hui, 1’ciel est noir ; on dirait qu’y va tomber des pierres ed’moulin. On a pas 1’cœur à s’ballader dans les champs. J’en profite pour m’exécuter.
***
Dame, les collections, vous vous imaginez sans doute pas c’que c’est, vous autr’s, si vous en avez point ? C’est comm’une personne vivante, ça a son histoire comm’une Dédèle aimée. Ou bien, c’est comm’ ces grands fleuves qui roulent d’plus en plus majestueux, et qu’ont pourtant commencé par un tout p’tit filet d’eau.
Alors, voici l’origine d’celle à mon aminche. Un matin d’été, après les horreurs d’la guerre, vers 1872, comm’ y passait sous l’pont Michel, à Pantin, v’là qu’Eugène Murer s’sent frapper sur l’omoplate.
— Tiens, c’est toi !… Quèqu’ tu fiches ici ?
Y v’nait d’ r’connaître un ami d’enfance, Armand Guillaumin, qu’y avait pas revu d’puis la fin de l’Empire. Dame, c’est si grand, c’ Paris. Et puis, qui va-z-à gauche, qui va-z-à droite ! L’ littérateur et l’ peintr’ n’ s’étaient plus rencontrés d’puis beau temps, et sans savoir pourquoi.
On alla d’abord trinquer sur l’ zinc. Puis d’là, à l’atelier. Et cinq heures après, Ugène, qui, c’jour-là, s’trouvait douillard, sortait d’chez Guillaumin, avec eun p’tite toile sous l’abattis, qu’y v’nait d’y ach’ter.
***
V’là la source toute simple d’c’te collection. Y faut dire aussi, qu’Murer est un forcené de réalisme, qui s’trouvait naturell’ment organisé pour comprendre la peinture claire. Guillaumin lui fit peu à peu connaître ses camarades. Une toile après l’autre, ça fait vite la boule d’neige. Aussi, quinze ans après, voici les vrais bijoux d’couleur et d’dessin, qu’on peut admirer chez l’aminche. Commençons l’défïlé :
PAUL CÉZANNE, né à Aix (Bouches-du-Rhône), en 1839. — 1. Le Bataillon sacré, pommes en bataille sur une table. [Pommes et biscuits (FWN739-R327)] – 2. La Tentation de Saint-Antoine, superbe étude. [FWN630-R240] – 3. Les Harengs-saurs, nature morte. [Deux harengs (FWN713-TA-R207)] – 4. Le Val-Fleury, paysage. [La Route tournante (FWN110-R388)] – 5. Enlèvement de femmes, sous-bois fantastique, aquarelle [RW030]. – 6. Vagabond de L’Estaque, mettant sa veste. [L’Homme à la veste (FWN621-R228)] – 7. Plat de pommes, nature morte. [FWN740-R328] – 8. Desserts de table, magistral morceau peint. [Fiasque, verre et poterie (FWN738-R326)]
CAMILLE PISSARO [tableaux nos 9-33]
AUGUSTE RENOIR [tableaux nos 34-48]
CLAUDE MONET [tableaux nos 49-58]
ALFRED SISLEY [tableaux nos 59-86]
ARMAND GUILLAUMIN [tableaux nos 87-108]
VICTOR VIGNON [tableaux nos 109-112]
GACHET (Van-Ryssel) [tableaux nos 113-114]
EUGÈNE DELACROIX [aquarelles ou dessin nos 115-118]
CONSTANTIN GUYS [dessins nos 119-122]
***
Ouf ! La v’là, cette collection d’un homme d’goût qui, quèqu’ jour, vaudra les yeux d’la tête.
Maint’nant, les aminches, j’voudrais bien pouvoir vous les montrer les un’s après les autres, ces peintures, mais y a pas mêche : y en a trop !
C’pendant, y a pas d’bobo : p’t-être bien qu’un jour la patronne vous les montr’ra dans not’salle des dépêches. C’est ça qui s’rait rupin ! Dame, faut-y pas mettre le beau à la portée du pauv’peupl’, quand on peut ?
En attendant, mézigue, tout c’qu’est en mon pouvoir — et j’m’y engage — c’est d’vous portraicturer ces grands artisses, l’un après l’autre (comme j’ai d’ailleurs déjà fait pour Victor Vignon), en allant les r’lancer dans leur turbin. A l’exception tout’fois d’Constantin Guys et du grand Delacroix, qui, d’puis beau temps, ceusses-là, ont tourné l’pinceau à gauche.
Trublot »»Trublot [Paul Alexis], « La collection Murer », Le Cri du peuple, 21 octobre 1887.
9 novembre
Cezanne est à Paris, de retour d’Aix.
« 9 novembre 1887
Monsieur,
À mon retour à Paris, après une assez longue absence, je trouve que je manque de toiles qui pourraient être soumises au plaisir des amateurs d’art. Soucieux de n’offrir à l’appréciation de la critique que les études qui pourraient être jugées acceptables, je ne peux pas prendre part à une exposition.
Veuillez accepter mes regrets et mes sincères salutations.
P. Cezanne »Lettre de Cezanne, 9 novembre 1887 ; traduite d’après une traduction elle-même en anglais ; Danchev Alex (édité et traduit par), The Letters of Paul Cezanne, Londres, Thames & Hudson, 2013, 392 pages, lettre n° 143 p. 246, traduite en anglais.
Danchev suppose que la lettre est adressée à Dujardin.
28 novembre
Il écrit à Zola pour le remercier de l’envoi de La Terre. Il se propose d’aller le voir :
« Paris 28 9bre 1887
Mon cher Émile,
Je’ai viens de recevoir de retour d’Aix le volume la Terre, que tu as bien voulu m’adresser. Je te remercie pour l’envoi de ce nouveau rameau poussé sur l’arbre généalogique des Rougon-Macquart.
Je te prie d’accepter mes remerciements et mes plus sincères salutations.
Paul Cezanne
Quand tu seras de retour j’irai te voir pour te serrer la main. — »Lettre de Cezanne à Zola, datée « Paris, 27 7bre 1887 » ; collection privée, Paris, musée des Lettres et Manuscrits, reproduction ; vente Livres et manuscrits, Sotheby’s, Paris, 26 novembre 2013, n° 56, première page reproduite.
La Terre a paru en feuilleton dans Gil-Blas, du 19 mai au 16 septembre 1887. L’édition en volume a été mise en vente le 15 novembre 1887.
Zola Émile : Les Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire. La Terre, Paris, librairie Charpentier, Bibliothèque-Charpentier, 1887, 523 pages.
C’est vraisemblablement par une lettre (inconnue) de Zola que Cezanne a appris que les Zola étaient partis en voyage. Mais apparemment il ne connaît pas le détail de leurs déplacements puisqu’au moment où il écrit cette lettre, Zola est à Paris, cf. ci-dessous.
Les séjours de Zola fin 1887 sont un peu mieux connus :
– Les Zola sont à Royan à partir du 31 août.
– Le 19 septembre, les Zola visitent Cognac, à l’invitation de Duret, puis rentrent à Royan le 21, après une nuit passée à Bordeaux.
– Le 11 octobre, Zola assiste au Théâtre libre, à Paris, à la représentation de Sœur Philomène, une pièce tirée du roman des frères Goncourt. Edmond de Goncourt lui fait grise mine, et les relations entre les deux hommes sont particulièrement tendues pendant une dizaine de jours.
– Le 24 octobre, les Zola retournent à Médan, après avoir été retenus à Paris par une maladie de leur chien Fanfan. Leur séjour dure jusqu’au 10 novembre.
– Le 24 décembre, nouveau séjour à Médan, jusqu’à la fin janvier 1888.
Vollard Ambroise, Renoir, Les Éditions G. Crès & Cie, Paris, 1920, 286 pages, p. 97-98 :
« — Moi. Guillemet me racontait la brouille de Goncourt avec Zola. Goncourt, tout d’un coup, cessant de dire bonjour à Zola, et même, le faisant attaquer en sous-main ; Zola navré, et impossible de savoir ce qu’il avait bien pu faire au « patron »… Charpentier, très embêté de ne plus pouvoir réunir en même temps chez lui ses deux auteurs, s’entremettant, et devant les faux-fuyants de Goncourt :
— « Mais, enfin, si Zola venait à vous la main tendue, vous ne la lui refuseriez pas ? »
« Bref, grand dîner de réconciliation. Goncourt, tout le temps, très distant, si bien qu’à la fin du repas, Zola veut à tout prix avoir une explication, et entraîne l’autre dans un petit salon. Guillemet le voit sortir l’air tellement ahuri…
— « Eh bien ! quoi ? »
« Alors Zola :
— « Je lui ai demandé ce que je lui avais fait ! « Vous me demandez ce que vous m’avez fait, vous qui nous avez dépouillés, mon frère et moi, de notre bien !… Et ce titre L’Œuvre que vous avez pris pour votre livre, après que nous avions écrit L’Œuvre de François Boucher ! » »
De 1887 à 1902
À partir de 1887, et ce pendant quinze ans, Cezanne loue une remise au Château Noir, pour venir travailler dans les environs : deux pièces dans les communs jusqu’en 1899, puis, après avoir tenté d’acheter le Château noir, une seule pièce. Il doit quitter la remise en 1902 à la demande du propriétaire.
Johnson Erle Loran, « Cezanne’s Country », The Arts, volume XVI, n° 8, avril 1930, p. 520-551, p. 528-530 :
« The Chateau is one of the strangest houses I have ever seen. It is made in two sections which face in different directions, and on one side of it, quite separate from it, are stark grey pillars that stand out meaninglessly against the sky. The arrangement is the result of a capricious old man’s attempt to make something unusual. Endless tales about him go the rounds of the inhabitants ; the most plausible one is that he was an alchemist who took pleasure in giving chemical demonstrations before the neighbors. They, like simple peasants, ascribed unearthly powers to him and gave his house the name of Chateau du Diable which developed into Chateau Noir. Such a house would appeal to Cezanne’s love of unusual cubical formations and it figures in many of his paintings.
The present day proprietress was a young girl when Cezanne used to come there but she has vivid memories of him. She has great respect for his name and memory and, among other things, she has erected a bust of Cezanne before the door of that part of the Chateau which he used as a depot for his materials. This bust Mme. Tessier says that she made one night when the vision of Cezanne came to her with such force that she arose from her sleep, and almost without knowing what she was doing, began to work. (It is a fair likeness to Cezanne.) It is amusing to note in this connection that Mme. Tessier is very anxious to build up her house to accommodate painters, especially Americans who are willing to pay the prices she believes she is warranted to ask.
The hill above the Chateau is covered with forest and rocks. Cezanne produced some of his most magnificent work in this territory and Mme. Tessier can never forgive M. Provence for having centered the Cezanne tradition over on the opposite side of the town where the studio stands. The generality of paintings done in this forest have that element of purity and abstraction which is Cezanne’s strongest quality. At the same time, there is no period in his work where he shows a more clearly defined contact with the subject. He had now arrived at that degree of mastery—which I believe to be the highest degree of mastery — where the creator derives forms and colors directly from nature which become a world, a creation in themselves, giving a perfect illusion of the thing seen, and yet being removed from it. »
Traduction :
« Le Château est une des maisons les plus étranges que j’aie jamais vues. Il est réalisé en deux corps qui se font face dans des directions différentes, et sur un côté de l’un d’eux, tout à fait détachés de lui, il y a des piliers gris austère qui se démarquent absurdement contre le ciel. L’arrangement est le résultat de la tentative d’un vieil homme capricieux de faire quelque chose d’inhabituel. Des histoires sans fin sur lui ont fait le tour des habitants ; le plus plausible est qu’il était un alchimiste qui prenait plaisir à faire des démonstrations de produits chimiques devant ses voisins. Ils lui ont, comme de simples paysans, attribué des pouvoirs surnaturels et ont donné à sa maison le nom de Château du Diable qui s’est développé en Château Noir. Cette maison allait susciter l’amour de Cezanne pour ses formations cubiques inhabituelles et ses figures dans plusieurs de ses peintures.
La propriétaire actuelle était une jeune fille quand Cezanne y venait, mais elle a de vifs souvenirs de lui. Elle a beaucoup de respect pour son nom et sa mémoire et, entre autres choses, elle a érigé un buste de Cezanne devant la porte de cette partie du château qu’il a utilisée comme dépôt pour ses matériaux. Ce buste, Mme Tessier dit qu’elle l’a fait une nuit où la vision de Cezanne est venue à elle avec une telle force qu’elle l’a tirée de son sommeil, et presque sans savoir ce qu’elle faisait, elle a commencé à travailler. (C’est un portrait fidèle de Cezanne.) Il est amusant de noter à cet égard que Mme Tessier est très soucieuse de construire sa maison pour accueillir les peintres, en particulier les Américains qui sont prêts à payer les prix qu’elle croit justifié de demander.
La colline au-dessus du Château est couverte de forêts et de rochers. Cezanne a produit certaines de ses plus magnifiques œuvres dans ce territoire et Mme Tessier n’a jamais pu pardonner à M. Provence d’avoir centré la tradition Cézannienne plus sur le côté opposé de la ville où se trouve l’atelier. La plupart des peintures réalisées dans cette forêt ont cet élément de pureté et d’abstraction qui fait la plus grande qualité de Cezanne. Dans le même temps, il n’y a pas de période dans son œuvre où il montre un contact plus clairement défini avec le sujet. Il était arrivé à ce degré de maîtrise — que je crois être le plus haut degré de maîtrise — où le créateur tire des formes et des couleurs directement de la nature, qui deviennent un monde, une création en soi, donnant une illusion parfaite de la chose vue, et pourtant tirée d’elle. »
Wencker Tilly, « Château Noir », Kunst und Künstler, Berlin, éditeur Bruno Cassirer, 27e année, 1929, cahier n° 6, p. 227-230 :
« Was mich besonders interessierte, war ein kleines, seltsames Gebäude, das oben hoch über der Straße am ansteigenden Berge lag. Steilauf und schmal ragte die von langen Fenstern durchschnittene Front.
Zur Seite lagen unregelmäßig gegeneinander geschoben noch kleinere Anbauten, und ringsum lief eine breite Terrasse. Es schien, als böte dieser kleine Komplex seine brökkelnden Mauern der Sonne mit Lächeln dar.
Dies war Chateau noir.
An verwitterten Mauern entlang führte der Fußweg hinauf. Aus einer Wildnis von riesigen Ginsterbüschen und fremdartigen Strauchpflanzen stieg ein betäubender Duft empor. Mächtige Pinien, Kiefern und Zedern breiteten sich schattengebend aus. Hinter dem Hause noch eine Treppe, und dann ein kleiner mit Gras bewachsener Hof, mitten darin ein Pistazienbaum, rund um seinen Stamm lief eine Bank aus Steinquadern. Dort saß eine Dame ; es war Madame Vieil, eine bekannte französische Bildhauerin und Besitzerin des Chateau noir. Und nun möchte ich schreiben, was Madame Vieil mir erzählte.
Chateau noir wurde von ihrem Großvater erbaut, und Madame Vieil hat dort ihre Kinder und Mädchenjahre verlebt.
Cezanne, der bekanntlich in Aix wohnte, hatte zwei kleine Kammern in dem Nebengebäude des Chateau noir gemietet, und dort war es, wo er in ftinfzehn Jahren die meisten seiner großen Werke schuf.
Madame Vieil führte mich durch ihr ganzes Besitztum und erzählte dann von ihren Erinnerungen an Cezanne.
Hinter Chateau noir steigt der Wald am Berg empor, ein Wald, so herb und heiß wie er nur unter einer südlichen Sonne wachsen kann. Kiefern und Eichen bilden ein Dickicht von Bäumen, verrenkt, geborsten, lebenstrotzend und tot. Uber der in Trockenheit zerrissenen Erde wuchern stachlichte Büsche, aromatische Pflanzen wie Thymian und Rosmarin senden betäubende Düfte aus, und mit den riesigen Felsen sind Schlingpflanzen und Efeu eng verwachsen. Zwischen den Stämmen und den violetten, toten Ästen öffnet sich hie und da der Blick auf den Mont St. Victoire, auf das Tal mit der tiefroten Erde und den silberschimmernden Ölbäumen.
Madame Vieil sagte : „Nie soll die ordnende Hand des Menschen diese Natur profanieren, diese toten Aste erinnern mich zu sehr an die herrliche Art, wie Cezanne sie in seinen Bildern wiedergegeben hat, als daß ich sie entfernen lassen könnte.ˮ
Auf der Terrasse des Chateau noir wieder angelangt, fuhr sie fort : „Dieser Wald und diese Umgebung des Chateau noir stehen mit dem heftigen und tiefen Charakter Cezannes in vollem Einklang. Hierher fuhr er jeden Tag in aller Morgenfrühe, legte sein Gepäck in der kleinen Wohnung nieder, dann ging er hinaus mit seinem Arbeitszeug und suchte eine Ecke in der Einsamkeit der Felsen, um dort zu arbeiten. Heimlich und eilig schritt er durch die hintere Türe, er war in beständiger Furcht, beobachtet zu werden, mit krankhafter Angst sah er darauf, daß man ihm nicht folgte, nicht ausforschte, wo er hinging, rasend in der Idee, man könnte «venir Tembeter », dies waren seine eigenen Worte.ˮ
„Erst abends verließ er seine Arbeit und kehrte zurück. Oft zerstörte er am andern Morgen, was er geschaffen hatte, nie war er zufrieden, er litt unendlich an dem Gedanken, die Natur nicht so wiedergeben zu können, wie er sie sah und fühlte. ˮ „Eines Tages schichtete er einen, vielleicht meterhohen, Scheiterhaufen an der Terrasse auf,ˮ sprach Madame Vieil weiter, „es waren lauter von ihm verworfene Arbeiten, ich sah sie brennen, wie gerne hätte ich etwas gerettet von diesen Werken, aber ich wagte es nicht. Immer scheu und eilig kam und ging er zur Arbeit, immer versunken und verbunden mit dieser Natur. Dieses Land um das Chateau noir und um Tholonet war die eigentliche geistige Heimat Cezannes ; und er liebte dies alles so tief, daß er eines Tages sagte : «Hier ist meine Seele ». ˮ
„Er besaß in Aix ein Atelier und in der Nähe der Stadt ein Gut, aber hierher nach Chateau noir kam er fünfzehn Jahre lang, um zu arbeiten, hier schuf er seine größten Werke, und hier begegnet man auf Schritt und Tritt seinem Andenken in der Natur. ˮ
So erzählte Madame Vieil.
Uber der kleinen Tür seiner Kammer steht von ihrer Hand geschrieben das Wort : „Cezanneˮ.
Eine von ihr aus der Erinnerung gearbeitete Büste soll demnächst dort im Walde, nahe der Straße, errichtet werden. Sein Blick scheint sich forschend und suchend auf den Mont St. Victoire zu richten.
Es dürfte der Begriff : „Aix en Provence und Cezanneˮ, doch nicht so untrennbar sein, wenn man seine eigenen Worte über die Umgebung von Chateau noir bedenkt :
„Hier ist meine Seele.ˮ
Traduction :
« Ce qui m’intéressait particulièrement, c’était un étrange petit bâtiment qui se trouvait là, tout en haut de la rue, sur la pente. Haut perchée et étroite, la faҫade se détachait, percée de hautes fenêtres.
Sur le côté se trouvaient des petites constructions poussées les unes contre les autres, et tout autour courait une terrasse. Il semblait que ce petit complexe offrait au soleil ses murs effrités avec un sourire.
C’était Château noir.
Le long de la muraille érodée, le chemin conduisait sur les hauteurs. À partir des massifs de genêts géants et d’étranges arbustes sauvages, s’échappait un parfum enivrant. Des pins et des cèdres majestueux dispensaient de l’ombre. Derrière la maison, encore un escalier, puis une petite cour recouverte d’herbe, en plein milieu un pistachier, autour du tronc un banc formé de blocs de pierres. Là, une dame était assise : c’était madame Vieil, une célèbre artiste peintre française et la propriétaire de Château noir. Enfin, j’aimerais mettre sur papier ce que Madame Vieil m’a raconté.
Château noir fut construit par son grand-père, et Madame Vieil y passa son enfance et son adolescence.
Cezanne qui habitait à Aix, comme chacun le sait, avait loué deux petites pièces dans les communs, et c’est là qu’il a produit pendant quinze ans le plus gros de ses œuvres.
Madame Vieil m’a fait découvrir toute la propriété et m’a raconté ses souvenirs liés à Cezanne.
Derrière Château noir, une forêt grimpe le long de la montagne, une forêt aride et chaude comme celles qui ne peuvent croître que sous le soleil du Midi. Des pins et des chênes forment un fouillis inextricable d’arbres tordus, éclatés, défiant la vie et morts. Sur la terre creusée par la sécheresse poussent des arbustes piquants, des plantes aromatiques, comme le thym et le romarin ; d’eux émanent des senteurs enivrantes, et sur les falaises, s’emmêlant étroitement avec eux, poussent des plantes grimpantes et du lierre. Entre les troncs et les branches mortes violettes, on peut parfois apercevoir le Mont Sainte-Victoire, ou bien la vallée avec sa terre rouge sombre et les reflets argentés des oliviers.
Madame Vieil dit : « Jamais la main ordonnatrice de l’homme ne doit profaner cette nature. Les branches mortes me rappellent trop bien la magnifique manière que Cezanne a reproduite dans ses toiles, pour que je puisse me résoudre à les faire enlever. »
Alors que nous étions parvenus sur la terrasse de Château noir, elle continua. « Cette forêt et les alentours de Château noir s’harmonisent parfaitement avec le caractère profond de Cezanne. Il venait chaque matin de très bonne heure, déposait son sac dans le petit appartement puis il sortait avec son matériel et cherchait un endroit dans la solitude des falaises pour y travailler. Discrètement et d’un pas vif, il se glissait par la porte de derrière, habité par la crainte permanente d’être observé, il vérifiait avec un regard où se lisait une peur maladive qu’on le suive ou l’observe, furieux à l’idée qu’on puisse, comme il le disait lui-même : « venir l’embêter ».
Le soir venu, il quittait son travail et rentrait. Le lendemain matin, il détruisait souvent l’ouvrage de la veille, jamais satisfait, il souffrait sans fin à l’idée de ne pas pouvoir rendre la nature telle qu’il la voyait et la sentait. « Un matin, il construisit couche par couche un bûcher de plusieurs mètres de haut sur la terrasse, poursuivit Madame Vieil, la plupart de ses œuvres qu’il avait rejetées, je les vis brûler ; oh ! combien j’aurais voulu pouvoir en sauver quelques-unes, mais je n’osais pas. Il allait et venait, sauvage et pressé, toujours dans ses pensées et lié profondément à cette nature. Ces terres et Château noir, aux alentours du Tholonet, c’était la vraie patrie spirituelle de Cezanne. Et il aimait tout cela si profondément qu’il dit un jour : « Ici est mon âme »
Il possédait un atelier à Aix et une propriété proche de la ville, mais c’est ici à Château noir qu’il vint quinze années de suite pour travailler, c’est ici que sont nées ses plus grandes œuvres, et c’est ici qu’on peut à chaque pas trouver son souvenir dans la nature ».
Ainsi raconta Madame Vieil.
Sur la petite porte de sa chambre elle a écrit de sa main le mot : « Cezanne ». Un buste qu’elle a travaillé de mémoire devra bientôt être inauguré dans la forêt, près de la rue. Scrutateur et chercheur, le regard de l’artiste semble se diriger sur la montagne Sainte-Victoire.
« Aix en Provence et Cezanne » ne sont pas des notions étrangères l’une à l’autre, quand on considère les propres mots de l’artiste à propos des alentours de Château noir :
« Ici est mon âme. » »
Rewald John, Marchutz Léo, « Plastique et réalité. Cezanne au Château Noir », L’Amour de l’art, 16e année, n° 1, janvier 1935, p. 15-21, p. 16-17.
« Sans doute, Cezanne connut la propriété du Château Noir dès sa jeunesse. Le chemin menant au Tholonet que Cezanne et son ami Zola ont dû suivre dans leurs fréquentes promenades à la Sainte-Victoire longe ce domaine. On a cru reconnaître Le Tholonet, petit bourg de quelques maisons seulement, dans les tableaux les plus différents, mais en réalité on ne retrouve au Tholonet même aucun des motifs traités par Cezanne. Il a travaillé avant 1900 dans la carrière Bibémus, située au nord sur une colline, au dessus du Tholonet et près du Château Noir. De 1895 à 1899, il y avait loué un « cabanon » pour mettre ses tableaux à l’abri et pour pouvoir y coucher à l’occasion. C’est là que furent peints les tableaux des rochers aux formes bizarres et à la couleur orange, avec des buissons et des pins, tandis qu’au fond d’un de ces tableaux se trouve la Sainte-Victoire.
Déjà avant 1895, Cezanne doit avoir travaillé au Château Noir, car le tableau « Château Noir, vu par les arbres » (n° 10 de la liste des tableaux) [Château Noir derrière les arbres (R 522)] est exécuté avant cette date. La propriétaire actuelle du Château a vu, dans sa jeunesse, Cezanne y peindre. Elle nous a obligeamment fourni d’utiles informations : Cezanne aurait loué une pièce dès 1887 et l’aurait occupée quinze ans. Toutefois, presque toutes les œuvres connues du Château Noir sont exécutées plus tard, entre 1895 et 1906, date de la mort de Cezanne.
Il doit être mentionné que Cezanne ne reçut pas souvent la permission de peindre dans des propriétés privées, soit à cause de la réputation étrange qu’il avait à Aix, soit à cause de sa timidité. Ceci pourrait expliquer le nombre très élevé des œuvres peintes soit dans les propriétés de son père et de son beau-frère, soit dans le Bibémus et au Château Noir, où il avait loué des pièces. Hors de ces quatre endroits, il préférait des points éloignés des routes, souvent sur la hauteur, pour apercevoir à temps ceux qui auraient pu le déranger et pour ne pas être surpris au travail.
Le Château Noir était toujours inhabité pendant une grande partie de l’année ; ceci peut avoir accru le penchant de Cezanne pour cet endroit. Mme Teissier rapporte que Cezanne aurait essayé d’acheter en 1899, après la vente du « Jas de Bouffan », la propriété avec la colline boisée derrière le château. Mais les propriétaires n’acceptant pas ses propositions d’achat, il ne garda que la petite pièce à l’intérieur de la cour qu’il avait louée pour y mettre ses toiles. En 1902, il dut quitter cette pièce à la demande de la propriétaire. D’après Mme Teissier, il aurait alors brûlé une grande partie de ses tableaux sur la terrasse, ce qui explique peut-être le nombre relativement peu élevé des œuvres conservées, peintes au Château Noir et à dater d’avant 1902.
C’est vers cette époque que Cezanne fit bâtir son atelier au Chemin des Lauves, au dessus et près d’Aix. Il a peint, nous l’avons dit, de nombreuses vues de la Sainte-Victoire aux environs de cet atelier. Malgré cela, Cezanne, continuait à travailler au Château Noir. Les paysages de Provence de la dernière époque ne sont que des toiles peintes au Château Noir ou représentant la Sainte-Victoire, vue du Chemin des Lauves, et l’on ne connaît pas de tableaux du « Jas de Bouffan » après 1899. »
Chiao-Mei Liu, « Cezanne : La Série de Château Noir », Université Panthéon-Sorbonne, 1998, Diffusion ANRT, 386 pages, p. 31-32 :
« D’après un entretien que j’ai eu avec le propriétaire actuel, M. Bernard Tessier (le 2 avril 1994), la maison originale du Château Noir est une petite bastide qui existe depuis le xviie siècle (du temps de Louis XIII). Elle fut achetée en 1820 par son arrière-grand-père Charles Fouilloux (mort en 1876). En 1834, Fouilloux avait acquis la Maison Maria, une campagne à côté du Château Noir, qui date du xviie siècle. Par une fantaisie, Fouilloux voulut un château avec deux bâtiments principaux aux fenêtres pseudo-gothiques. Plus tard, la mère de Bernard Tessier, Mme Tessier — une des filles de Mme Vieil, qui est elle-même la fille de Charles Fouilloux — acheta le Château Noir. Elle n’y vint qu’en 1920. Au début, le château servait de maison d’été ; la région étant une réserve de chasse, seuls des hommes venaient à la propriété. Mme Tessier (morte en 1934) sculpta en 1912 un buste de ézanne, qui se trouve aujourd’hui dans la cour, devant la remise. »